Art / En France avec la Berkshire Review

Marcel Storr, Bâtisseur visionnaire, version française

Print Friendly, PDF & Email
Marcel Storr, sans titre 47 - crédit Liliane et Bertrand Kempf
Marcel Storr, sans titre 47, crédit Liliane et Bertrand Kempf

To read the English version, click here.

Marcel Storr, bâtisseur visionnaire au pavillon Carré de Baudouin, Paris, jusqu’au 31 mars.

On dessine les villes pour des raisons pratiques ou visionnaires. D’habitude, les “bâtisseurs” se préoccupent des villes qu’on peut bâtir, où on peut vivre. Comme à New York, où il n’y a pas de différence significative entre les dessins de Hugh Ferriss et les tours Chrysler ou Empire State, à Paris la différence entre la ville existante et la ville visionnaire est peut-être moins nette qu’ailleurs. Les interventions de Haussmann étaient, pour le mieux et pour le pire, des rêves personnels d’une imagination percée par les boulevards parfaits. La démarche Haussmanienne était une réponse aux des exigences pratiques, mais elle exprimait une esthétique très personnelle, encore plus que les projets de Robert Moses à New York. Paris comme elle fut transformée pendant le Second Empire, ou même certains des grands projets parisiennes des 1980s ne sont pas trop loin des dessins d’un visionnaire comme Marcel Storr. Considérez La Bibliothèque François Mitterand, un édifice d’autant plus bizarre pour son rationalisme simulé. Une fois bâtis ces projets montrent les joies et les périls de l’urbanisme visionnaire.

Marcel Storr, sans titre 14, crédit Liliane et Bertrand Kempf
Marcel Storr, sans titre 14, crédit Liliane et Bertrand Kempf

C’était le contexte de l’oeuvre de Marcel Storr (1911-1976). La vie de Storr, peu connue, était dure. Enfant abandonné, il a passé sa jeunesse dans les fermes où il était placé par l’Assistance Publique. Il était battu, et il est devenu sourd. Il dessinait toujours, probablement afin d’échapper les obstacles de sa existence. Jusqu’aux années soixante il dessinait des églises, ou plutôt cathédrales, de plus en plus fouillées, quelquefois de grandes dimensions à travers plusieurs feuilles de papier. Lorsqu’il était “cantonnier d’empierrement saisonnier” ou balayeur au Bois de Boulogne, il a commencé à dessiner les villes, ou peut être les maints aspects d’une ville imaginaire. C’était l’époque où La Défense, que Storr aurait vu chaque jour, était en travaux. La réponse de Storr, “des tours, il faut des tours,” a transformé son art. Il a abandonné les églises pour les tours. Ses dessins ne restait que des dessins mais Storr voulait bâtir; pendant ses dernières années, il devenait convaincu que le Président des États-Unis lui consulterait après la destruction de Paris en catastrophe nucléaire.

Quoique son pratique était clandestine et bien en dehors du monde artistique de son époque (avant qu’il fut découvert par par deux amateurs d’art en 1971), Storr n’était pas ermite. Sa déclaration à propos de la catastrophe nucléaire montre qu’il connait bien les thèmes de ses temps, même si sa réalité était plus science-fiction que journalisme. Un des plaisirs de cette exposition, qui réunit tous les soixante dessins existants de Storr pour la première fois, est de deviner ses influences. On imagine que la moindre image, qu’on observe à la télévision ou dans la rue, aurait eu son effet. Comme Gaudi, l’architecture de la ville Storrienne procède d’une tradition gothique, d’abord très évident dans ses églises et puis de plus en plus librement réalisée dans ses tours où l’influence des autres précédents possibles, comme Angkor Wat, est évidente. Un visionnaire peut aller bien loin avec la gothique, un style qui semble attirer un certain genre de génie insolite et solitaire. L’exposition fait une bonne comparaison entre Storr et Simon Rodia, bâtisseur des tours de Watts à Los Angeles. Les deux partagent une méthode qui exige un foisonnement de détail presque délirant, qui se déroule peu a peu d’une manière fragmentaire plutôt que selon un schéma directeur. Les imperfections résultantes devient intrinsèques. Quoique les êtres humains sont presque absents, sauf comme fourmis dans une foule, les dessins de Storr gagne une humanité grâce à toutes les petites décisions de ses propres mains.

Les grands axes triomphaux lesquels s’étendent jusque’ à l’horizon sont absents. La perspective lui donnait du mal, et la plupart de ses visions se déroulent en premier plan, presque en élévation. Ses couleurs, toujours automnales, sont son vraie réussit. Ces dessins montrent à la fois les lieux imaginaires et les motifs fouillés. De près, les milliers de fenêtres deviennent des petites taches, presque comme pixels de couleurs diverses. On a l’impression que ses taches marchent à travers les feuilles de papier. Quelquefois à cause d’un petit défaut d’alignement, les bâtiments se penchent comme la tour de Pise, mais ces imperfections donnent un sens vif  de mouvement et de complexité infinie qui manque souvent aux villes imaginaires trop parfaites, trop Haussmanniennes enfin.

Marcel Storr, sans titre 34, crédit Liliane et Bertrand Kempf
Marcel Storr, sans titre 34, crédit Liliane et Bertrand Kempf

La vraie ville de Storr, Paris, est une ville de plusieurs modernismes. L’art nouveau, l’art déco et les mélanges singulières sont aussi importantes que le style international qui domine l’architecture moderne d’ailleurs. Ici l’ornement n’est jamais un crime. Si La Défense a inspiré ses tours, c’était peut-être un plus vieux Paris qui a formé la sensibilité particulière de Storr. En tout cas, son art est un vrai art brut. Bâtisseur ou pas, on a le sens que Storr vivait dans la ville de sa propre imagination.

1 thought on “Marcel Storr, Bâtisseur visionnaire, version française

Comments are closed.

WP2Social Auto Publish Powered By : XYZScripts.com