
To read the English version, click here.
Doisneau: Paris Les Halles
à l’Hôtel de Ville, Paris, jusqu’au 28 avril 2012
Devant l’Hôtel de Ville l’énorme file d’attente pour cette exposition magnifique des photos de Doisneau atteste qu’il reste toujours un trou des Halles béant dans le coeur parisien. Probablement aucune autre lieu parisien soustrait autant de fascination que la mémoire des Halles, “le ventre de Paris.” Peut-être la différence entre la fermeture des Halles en 1969 et les autres blessures urbaines de cet époque, parmi eux la voie express rive gauche (1967) et la tour Montparnasse (1973), est sa qualité autant psychique que physique. Cette perte avait quelque chose d’intime, une véritable tape au ventre par les fonctionnaires anonymes contre le besoin humain de la nourriture.
Dans les clichés de Doisneau le marché des Halles est son propre monde avec ses propres personnages, hiérarchie et vocabulaire. Ses images profitent du rapport évident entre le photographe et son sujet, une confiance créée au fil des ans. Doisneau a pris sa première photo des Halles en 1933. Il continuait pendant les décennies suivantes mais sa documentation intensive du marché à commencé en 1967, après l’annonce du déménagement:
Je voulais passer une nuit par semaine aux Halles, je me levais donc à 3 heures du matin, à Montrouge, pour me rendre là-bas, parmi les travailleurs de l’aube, ceux qui déchargeaient les camions, ceux qui mettaient la marchandise en place. Difficile à photographier : manque de lumière, réflexes ralentis par la fatigue, tellement d’images possibles ! Et puis c’était intimidant. Mais je me suis accroché. Je savais que cela allait disparaître. Je voulais absolument en fixer le souvenir.
Ces images nous éblouissent et nous apprennent, c’est leur pouvoir. Ils sont d’autant belles que’instructives, montrant un lieu et une culture perdue, à la fois une élégie, une protestation muette et une célébration de ce qui est en train de s’évanouir.
Ce projet crée un rapport intéressent mais indirect entre Doisneau et un autre photographe des lieux condamnés, Charles Marville (1816-1879), le méticuleux engagé par les autorités du Second Empire à documenter les rues appelées à disparaitre à cause de leurs célèbres percements. Quoique les deux partagent le sujet d’une ville en train de se transformer, leurs sensibilités, leurs buts et leurs époques étaient bien divergents. Les images presque non peuplées de Marville sont émouvantes grâce a leur indifférence apparente en face de l’énormité de leur sujet. Les photos de Doisneau sont beaucoup plus chaleureux, mais, comme Marville, il n’oublie jamais son devoir à “fixer le souvenir,” peut-être l’atout de la photographie par rapport aux autres arts. Comme tous les meilleures photos, celles de Doisneau sont à la fois techniquement réussies (surtout les photos nocturnes), très belles et d’une grande importance historique. Ils nous permettent, même nous qui manquons aucun souvenir des Halles, à imaginer avec précision ce qui se passait dans les 12 pavillons de Baltard et son quartier (où parmi des autres divertissements on aurait trouvé “le carré des merdeux,” le marché des produits moins chères et de moins bonne qualité à cause de leurs “couleurs étranges,” comme nous dit un des excellents cartels de l’exposition).
Comme l’univers de Renoir, le Paris de Doisneau semble allègre, surtout dans une photo comme le célèbre Baiser de 1950, pris à deux pas de l’Hôtel de Ville. Si on se méfie de l’art heureux aujourd’hui (une sensibilité maussade ou au moins colérique, ironique, blasée ou déprimée étant presque de rigueur chez les artistes contemporains), on manque beaucoup. Les photos de Doisneau (comme Le bal du Moulin de la Galette (1876) de Renoir) montrent les gestes des habitants d’un monde, et d’une ville, éphémère. C’est ça qui approfondit leur allégresse. En 2012 on connaisse mieux qu’eux l’avenir des personnages dans ces photos, la ‘boboisation’ d’un quartier, l’évanouissement des concierges — sujets chéris de Doisneau — qui, avant le digicode, hantaient les rez-des-chaussées de Paris. Les photos de Doisneau montrent la différence, assez nette, entre la nostalgie et la fascination du passé. Si on est nostalgique ou pas pour cette ville perdu on peut réjouir que le souvenir, la véritable histoire visuelle, est fixé avec tant d’esprit. Les Halles semblent presque revivifiées.

Doisneau utilise une variété des techniques à travers ses photos des Halles. Quelquefois les personnages se posent pour son appareil et quelquefois cet appareil semble voler ses images. Pour la plupart il nous montre Les Halles à hauteur des yeux, mais aussi d’en haut, d’une fenêtre du quatrième étage. Ce point de vu-là révèle un peu l’ordre caché du marché, comme Paris plus caractérisé par habitude que chaos. Doisneau fixe aussi l’architecture elle-même, en noir et blanc (Structure de Baltard, 2 décembre 1968) et puis en couleur, en pleine démolition (Baltard en morceaux, 1975).

Les compositions de Doisneau sont souvent imprévisibles. En quelques instances il préfère les compositions au format portrait où une composition au paysage serait plus conventionnelle, surtout dans un lieu horizontal comme Les Halles. Grâce à la composition verticale Doisneau peut juxtaposer les activités et l’architecture du marché dans une seule image sans accablant son sujet. Il peut combiner une marchande de fleurs charmante, ses fleurs, un peu de la foule autour d’elle et aussi l’atmosphère des “vastes parapluies” ordonnées par Napoleon III sans perdant le visage principal. Une série de photos des piétons sautant un tas d’ordure dans la gouttière est aussi composée en portrait, un choix inattendu qui coince les sujets entre les côtés étroits du cadre. On a le sens qu’un instant furtif soit combiné dans le cadre avec une architecture plus durable (mais pas assez durable) en arrière-plan. Ainsi ces images sont beaucoup plus intéressant que l’on aurait anticipé. Il s’agit d’une anecdote charmante devenue un moment de notre histoire. Ça, c’est le défi d’un photographe dans une ville ou les poncifs rôdent à chaque coin de la rue, leur Vélibs entassés des baguettes, la fumée des Gauloises échappant l’ombre de leurs bérets.

Doisneau va jusqu’au bout avec Les Halles. Pendant une fin de semaine en 1969 presque tous les foncions des Halles, un marché depuis le XII siècle, étaient déménagées à Rungis, où ils restent aujourd’hui. Dans les photos de Doisneau ce moment rappelle une histoire de science fiction dont une culture extra-terrestre est tout à coup téléportée à un autre planète. Aux Halles les personnages se approchaient à l’architecture. En dépit des événements mondiaux, n’y a pas grande différence entre Les Halles en 1933 et en 1969. Les parisiens avaient, chaque jour, besoin des légumes, des fleurs et du B.O.F. (beurre, oeufs, fromages). Il est déchirant de voir ses images. On comprend la perte.
Doisneau fixe aussi le trou célèbre des Halles qui suivait la démolition (1974-75) et l’ouverture du Forum Les Halles en 1979, dix ans après la vente du dernier poireau aux Halles. On peut imaginer que le Forum était né en état délabré, mais les photos de Doisneau montrent un lieu tout neuf du béton blanc, peuplé par les jeunes parisiens qui pensent, on devine, que ce Forum, c’est presque groovy. Même pour sa époque, le Forum était une architecture éphémère, peut-être honteuse à exister. Maintenant, le Forum, c’est fini et sans regrets. On est en train de le remplacer avec la grande canopée en jardin qui a remportée le concours de 2007. On peut anticiper q’elle va corriger l’échec de 1979 sans combler un trou trop profonde à remplir avec l’architecture.
