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La ville mondiale est un oxymoron. Personne n’y habite. Une grande ville est, parmi autre choses, une usine qui fabrique les polémiques locales, et la façon dont ces disputes se déroulent est aussi révélatrice des différences entre les villes que les matériaux de leurs trottoirs. Ces arguments sont une histoire vivante. Quoiqu’ils peuvent sembler sans importance par rapport aux crises mondiales sans fin, il vaut la peine d’y faire attention. La controverse à Paris autour du réaménagement des voies sur berges de la Seine peut sembler indulgente si l’on ne se souvient pas de l’adage, pas tout à fait à la mode: “penser global agir local.” Ces polémiques locales ont beaucoup à nous apprendre mais leur plus grand valeur est comme un bastion contre l’imprécision des discussions incessantes des questions mondiales. Le désir de virer vers l’animal, le végétal et le minéral plutôt que vers le virtuel est quelquefois irrésistible et probablement bon pour la santé aussi. Le seul moyen d’échapper ou de se cacher du règne des chiffres est peut-être, comme Laurel et Hardy cherchent l’air frais de la mer en En croisière (Saps at Sea, 1940), de retrouver les lieux familiers ou la conversation est intéressante.
Comme beaucoup des villes, Paris a construit quelques erreurs célèbres pendant les années des trente glorieuses. L’urbanisme assez nette de Paris rend ces erreurs plus visibles qu’aux autres villes. On peut constater si les erreurs d’autrefois deviennent plus ou moins graves au fil des ans. Chacun est différent. Le front de la Seine, par exemple, me semble beaucoup moins insupportable aux photos qu’en réalité. Quelques erreurs sont corrigibles lorsqu’autres semblent plus ou moins permanents, surtout les exemples, comme les tours construit à Belleville, qui ont blessé la vie d’un quartier.

À première vue la voie Georges-Pompidou, l’autoroute construit aux berges de la Seine aux années soixante, semble un erreur particulièrement grave mais parfaitement corrigible. La voie est la seul vestige de plusieurs autoroutes envisagées au centre de Paris, même sur le canal St. Martin. C’était l’esprit de l’époque mais quelques autres villes du monde ont récemment abattu ou réaménagé ce genre d’autoroute suivante les bords d’une masse d’eau. La voie Georges-Pompidou est déjà fermé les dimanches au profit des rollers, des joggeurs et des cyclistes et l’annuel Paris Plage montre comment les parisiens peuvent, comme la proposition actuelle ambitionne, “reconquérir” leur fleuve.

Les réaménagements proposés par la mairie de Paris pour les voies sur berges transformerait en partie la voie en zone piétonne. Sa modestie par rapport à un projet comme les réaménagements de la Garonne à Bordeaux n’a pas empêché l’apparition d’une assez grande polémique. La démarche à chaque rive serait différente. À la rive gauche le brin d’autoroute entre le musée d’Orsay et le pont d’Alma serait fermé aux voitures et le bitume préservé pour que la voie pourrait être rouvrite s’il les embouteillages arrivent. Chaque jour serait comme le dimanche sauf que la rive gauche serait ‘animée’ par les “installations” flottants, précisées ci-dessous. À la rive droite, où l’autoroute est continue à travers la ville, elle sera transformée en boulevard avec six feux et un trottoir le long de la Seine.
Et à quoi ça sert ces berges libérées? Les fleuves et les havres des villes dans les pays développés sont devenues des lieux de loisir plutôt que d’industrie ou de transport. Les avantages de cette évolution, l’accès public et l’eau plus pur, sont un tout petit peu ternis par l’inquiétude que ces lieux si longtemps consacrés aux fonctions pratiques ont perdu leur raison d’être. C’est un changement existentiel — la Seine a créé Paris plus que Paris a créé la Seine est c’est la même histoire ailleurs. Le projet des berges touche les angoisses d’une des villes les plus dépendantes du tourisme et de la culture. Peut le loisir soutient une grande ville? Les berges du Seine ne sont qu’une petite bagarre dans une dispute qui comprend la fermeture des Halles en 1969, une perte de musculature beaucoup plus grave. Paris n’est pas Venise ni Las Vegas, mais il n’est pas non plus “une ville de larges épaules.” Les péniches qui rappellent l’Atalante (1934) sont surpassées en nombre par les bateaux de genre mouche avec leur baratin multilingue, mais la Seine n’est pas encore perdue. Du parc de Bercy au parc André Citroën, les anciens lieux industriels maintenant consacrées au loisir sont souvent des merveilleux exemples d’un âge d’or contemporain des paysages français. Les rives du Seine retiennent un certain mystère en dépit de leur gloire. Avec quelques exceptions il n’y a pas beaucoup de monde aux berges, peut être parce que ce parcours reste parmi les rares lieux parisiens où il est presque impossible à dépenser de l’argent.
Comme les après midis bondés des leçons d’un enfant cru doué, être, seulement être n’est pas suffisant pour un lieu urbain de nos jours. Afin d’activer, un des mots préfèrés des urbanistes, les berges de la Seine, la mairie propose une série des pavillons flottants. Dans les images du projet elles sont pleines de gens numériques au café, jouant au volley ou, le soir, regardant un film sur un écran flottant. À l’émission Métropolitains de France Culture, le critique Emmanuel Caille a appelé cette esthétique, dans laquelle une oriflamme pend à chaque réverbère, le “commerce-ludique.” C’est une expression très utile puisque cette tendance est déjà assez répandu, soit à la Seine de l’avenir soit au havre de Sydney, de constituer un nouveau style international.

(Grace à la configuration de la ville, à Paris la plupart des 27 millions de touristes se concentre aux alentours d’une poignée de monuments ou on trouve “le Paris agaçant”. Grâce a cette concentration, les inconvénients du tourisme contemporaine — les arnaquers, les autobus, les crêpes préfabriquées — n’envahissent pas les autre quartiers de la ville. S’il c’est toujours possible à éviter les touristes à Paris, c’est bien difficile à refouler les réfections sur le tourisme en soi. Il semble un moment assez étrange pour le tourisme de masse. Un vernis de bon goût a remplacé le kitsch d’antan. Les t-shirts moches sont en voie d’extinction. On trouve les petits maquettes dorées de la tour Eiffel partout mais actuellement il faut les acheter avec un esprit ironique. Le touriste contemporain porte un appareil photo SLR, pas un point and shoot. La tension arrive quand chacun des touristes aspire d’être un initié, de trouver son propre bon petit bistro pas cher, de découvrir son brin du Paris insolite. L’impossibilité de satisfaire ces espérances donne naissance à un nouveau conformisme plus inquiétant que les mauvais t-shirts. Au Trocadéro, l’adolescent renfrogné qui saute joyeusement pour l’instant qu’il faut pour prendre un photo est assez inoffensif, mais l’individu appartient à une foule qui attend plus en plus de leurs vacances, beaucoup plus que les plus beaux rêves de monsieur Hulot. C’est peut être un peu grincheux de ma part, mais je trouve que les milliers des “cadenas d’amour” au pont des Arts et à la passerelle de Solférino soient une provocation. D’où est arrivé cette bêtise et pourquoi arrive-t-elle maintenant? L’amour qu’ils exprime n’est pas pour Paris. La ville n’est pour ce genre de touriste qu’un arrière-plan d’un amour propre parfaitement portable. En traversant ce pont autrefois si élégant on est censé à penser que la vie soit belle, que le monde soit plein d’amour. C’est un des lieux exemplaires d’un époque où l’atmosphère acharné-ludique de l’internet déborde nos écrans pour envahir la réalité des ponts et berges. “Interventions” comme les cadenas d’amour sont préfigurées par les installations des artistes contemporains, souvent énormes et répétitives, et par l’architecture spirituelle-minimaliste des mémoriaux contemporains. Bref, les cadenas d’amour ne sont pas innocents. Ils sont le détritus des visiteurs qui ne sont pas plus contents à se comporter comme les invités de la ville mais qui veulent avoir la maison de leurs hôtes. Leur bêtise tache. Alors, où est mon casse-boulon…?)

Les lieux commerco-ludiques sont partout. Quoique ils appartiennent quelquefois au “junkspace” identifié par Rem Koolhaas, les intentions qui les motivent peuvent être bonnes. L’esprit de Jane Jacobs n’est pas complètement absent, soit mal traduit par les certitudes des urbanistes, un modernisme architectural épuisé et toujours, bien sûr, la sensibilité libérale. Ces lieux ne manquent pas de plaisir — qui peut résister les librairies et les muffins? Où est le mal donc? Ce que le beach-volley sur la Seine détruit c’est la surprise. Il faut qu’une ville peut étonner. Regardant les films sur les écrans flottants, c’est presque la même expérience à Paris qu’à Sydney (même si les places sont beaucoup plus chères aux antipodes…). La seule différence est l’arrière-plan, et l’arrière-plan c’est la moindre des choses dans une ville. Le commerco-ludique pousse ailleurs le surprise, l’aventure, la flânerie, vers les boulevards Maréchaux ou à Lille ou Bordeaux. Ce tentative à reconquérir la Seine peut la plastifier, mais c’est difficile à dire.

L’opposition à ce projet a connu un rebondissement — une défense de la voie Georges-Pompidou autant pour sa qualité du “travelling” urbaine que pour son utilité. Cet argument, articulé par Emmanuel Caille dans son essai “Plaidoyer pour la voie Georges-Pompidou” est plus difficile à écarter qu’il ne le semble, particulièrement dans le cas de la rive droite, qui deviendrait un boulevard assez poncif. Il y a aussi le problème de la circulation. Paris a trop de voitures et trop de trajets en voiture sont inutiles. À porte Maillot à l’heure de pointe on voit une foule des gens chacun seul dans sa propre voiture. Le résultat est le nuage brune-jaune qui dérange trop souvent la ville (Erik Satie a dit que “l’air de Paris est si mauvais que je le fais toujours bouillir avant de respirer”). Il faut une solution, peut-être un péage urbain comme ceux de Londres ou de Rome, peut-être une innovation parisienne plus élégante mais la piétonisation des berges n’est pas une solution à la circulation et elle peut l’empirer faut d’une augmentation des transports en commun à l’échelle régionale comme le Grand Paris Express.
Les derniers paragraphes de mes propres articles ne m’étonnent presque jamais, mais je trouve étonnamment convaincant l’argument que cette trace brutale des années soixante ajoute à la richesse de la Seine. Les erreurs d’autrefois appartient à l’histoire d’une ville autant que les réussites. Ce serait pervers à réclamer qu’ils méritent toujours la préservation, mais ces erreurs, en l’absence des contre-propositions persuadantes, peuvent contredire l’essor des espaces commerco-ludiques. Il faut préserver la complexité et la contradiction dans les villes qui sont en train de devenir trop lisses, qui menacent de lier tout à tous toujours, comme un internet construit. Les berges de la Seine, les deux lignes qui séparent la ville minérale de la fleuve fugace, sont spéciales, un vrai Paris insolite. Même si on aime l’idée que les êtres humains peuvent reconquérir leurs villes, il faut résister un projet qui semble, et c’est assez imprécis, créer un lieu qui peut être n’importe où. Peut-être la Seine doit être un peu insaisissable. L’opposition à ce projet semble indiquer (et après l’élection présidentielle, la dispute entre la ville et l’état qui a entravé le projet a disparu, façon deus ex machina) qu’il n’ait pas captivé les parisiens autant que leur Seine actuelle. Les plus belles villes résistent la perfection.